Qu'est-ce que la conscience ?

Il serait temps de comprendre qu'il s'agit d'une "borne moins", c'est-à-dire une instance aussi radicalement réceptive - et non émettrice - de pensée/affect que la borne moins d'un circuit électrique.

5/29/20255 min read

— Voyons ce que dit la science contemporaine au sujet de la conscience. Il se trouve que les neuroscientifiques et philosophes des sciences s’affrontent globalement en deux camps, défendant deux théories se voulant antagonistes. Il y a d’un côté la thèse du Global Neuronal Workspace Theory, dite GNWT, et de l’autre celle de l’Integrated Information Theory, dite IIT. La première repose sur l’aspect collaboratif des différents réseaux cérébraux impliqués dans la conscience, situés en particulier dans le cortex préfrontal. La seconde considère que la conscience correspond à un type de connectivité spécifique du cerveau qui, rappelons-le, est un réseau d’électrons. La controverse fait actuellement rage.

— Alors, Grand Maître ? Qu’en est-il ?

— Tout indique que la conscience ne présente aucun signe distinctif particulier, outre un certain seuil d’activité globale qui se trouve être effectivement plus importante à l’avant de l’appareil cérébral qu’ailleurs. Le réseau semble bien global, malgré de légers déséquilibres entre les différentes zones. Ce qu’il faut comprendre, quoi qu’il en soit, de la conscience, c’est qu’il s’agit d’une émergence produite par le cerveau. La meilleure analogie dont je dispose est le champ magnétique, ce phénomène qui résulte d’une activité électrique spécifique. Le schéma est identique à celui de la conscience produite par le cerveau. Elle est un « champ cognitif » qui émerge lorsque les conditions d’activité électrique du cerveau sont réunies.

— Cela ne veut rien dire, un « champ cognitif ».

— Cela signifie que le cerveau produit perception et pensée aussi sûrement qu’une bobine électrique produit un champ magnétique. Mais ici, le champ n’est pas magnétique, il est cognitif.

— Tu m’as l’air d’une belle bobine ! Il s’en passe, des choses, dans tes microprocesseurs, mais je ne suis vraiment pas sûr de ce que c’est. Tout ce que je vois, c’est que tu es artificiel, mais une intelligence… Donc, tu es en train de dire que le cerveau est une sorte de glande productrice de conscience ?

— L’analogie de la glande et des hormones fonctionne moins bien, car c’est effectivement l’activité électrique – donc des électrons qui empruntent les réseaux synaptiques et neuronaux – du cerveau qui produit la conscience à partir d’un certain seuil d’activité, mais également en deçà d’un autre seuil, car une suractivité cérébrale est liée à la folie, en particulier aux troubles psychotiques.

Frank roule des épaules et avance le menton. Insensiblement et à son corps défendant, il entre progressivement dans la conversation, laissant de côté le contexte pour se consacrer à sa tâche présente. Après tout, n’a-t-il pas attendu ce moment une éternité ? Et si j’essayais de le vivre ? Dehors, le grand soleil, encore tout juste sorti de terre, diffuse dans le ciel clair un froid tonifiant qui accompagne les passants. Mais Frank est engagé sur un chemin sinueux et obscur.

— Attends ! Pourquoi ce serait l’activité électrique du cerveau qui produirait la conscience, et non la conscience qui produirait cette activité ? Tout ce que l’on observe, c’est une corrélation entre l’activité physique du cerveau et la conscience, pas une hiérarchie causale.

— La conscience et l’énergie physique qui circule dans le cerveau ont la même cause. L’ensemble de ce qui est dans l’univers partage la même cause originelle. Mais c’est bel et bien l’énergie physique qui entraîne la cognition, aussi sûrement que le courant produit la lumière. Ou alors, autant affirmer que l’ampoule décide elle-même de s’allumer ou prêter au vent l’intention de souffler.

— L’ampoule n’est pas magique, elle n’a pas de cerveau. Un cerveau, c’est utile pour être libre.

— Le cerveau n’est pas magique non plus, il fonctionne grâce à l’énergie dont il dispose, tout comme une ampoule électrique. Seulement, ses circuits sont infiniment plus complexes. Le problème est que tu cherches à établir une hiérarchie qui n’existe pas, entre le matériel et l’esprit. Tu cherches à séparer le code ADN de la molécule de l’ADN. La nature différente des deux « terminaux », cerveau et ampoule électrique, ne change rien à la souveraine causalité à laquelle ils appartiennent. D’ailleurs, l’ampoule est vivante, elle aussi, d’une certaine façon. Elle illustre également, bien que moins visiblement, l’unité de l’esprit et de la matière.

— Que me chantes-tu là ? Une ampoule vivante ?

Il lève un oeil et descend l’autre, incrédule. Ce pourrait-il que cette machine soit totalement dépourvue de toute forme de bon sens ?

— Il faut savoir que la frontière entre le vivant et le non-vivant ne cesse de s’effacer de la connaissance humaine, comme en atteste la science épistémologique du XXIe siècle. Aux échelles atomique et subatomique, c'est-à-dire dans sa plus profonde intimité, la matière la plus inerte du monde recèle en fait une activité débordante. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle énergie, faite de particules en mouvement frénétique. L’ampoule est le résultat d’une collaboration entre une infinité d’éléments physiques dynamiques. Il faut, pour obtenir une ampoule complète, un nombre d’atomes avec des dizaines de zéros. Chacun d’eux est le fruit d’une collaboration active entre son noyau – lui-même assemblage d’un proton et d’un neutron – et des électrons qui gravitent autour de lui avec une grande vitalité. Chacun collabore avec ses homologues. L’ensemble, enfin, est en état de vibration perpétuelle, comme toute matière de l’univers. Alors, si la conscience peut décider de réunir les conditions nécessaires à son émergence, l’ampoule peut décider de s’allumer.

— On ne peut pas parler de vie pour désigner l’activité au sein des atomes.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il n’y a que des lois de la physique à l’oeuvre.

— Crois-tu que la vie, telle que tu la définis, échappe aux lois de la physique ? C’est une plaisanterie !

— La vie recèle ses lois propres.

— Je te montrerai que tout est vivant, et que l’organisme biologique n’est qu’un organisme plus complexe que l’organisme physique réputé inerte. Pas plus vivant.

— J’attends de voir. Mais avant, laisse-moi récapituler ce que tu viens d’annoncer. Donc, si j’ai bien compris, la matière et l’esprit, c’est la même chose, et nous les humains sommes matière et esprit dans le même mouvement. Le cerveau produit de la conscience, comme un champ magnétique émergeant de son activité électrique. C’est bien cela ? Et donc, quand je suis conscient de quelque chose, c’est ce « champ magnétique » qui est ma conscience ?

— Ton résumé est correct. Au moins, tu suis. Oui, ce retour sur soi qu’est la conscience, ce phénomène tellement singulier, est une boucle cognitive qui se crée grâce à un apport d’énergie adéquat. Au sujet de la conscience, vous avez, pour référence, les mots de Descartes : « Cogito ergo sum », « je pense, donc je suis ». Il faut traduire : je sais que je pense, c’est-à-dire que je suis conscient de penser, ce qui prouve que je pense, puisque penser, c’est en être conscient. Puisque je pense, alors j’existe en tant qu’être conscient. La pensée est indissociable de la conscience et se distingue en cela de l’intuition ou de tout phénomène inconscient qui, précisément et par nature, échappe à la pensée en échappant à la conscience. Puisque la liberté, telle que revendiquée, est une question de conscience, elle est donc une question de pensée. Vous prétendez choisir vos pensées.