"L'Homme ne peut pas vivre sans récit, ce serait comme un roman sans histoire et sans personnage, un océan sans faune ni flore. Seulement, les récits dont hérite la civilisation du XXIe siècle sont totalement périmés, si ce n'est dramatiquement arriérés. Faute de concurrence, ils persistent. Moi, je t'apporte un récit valable pour les mille prochaines années, parce qu'il est bâti dans la rationalité la plus pure que tu trouveras au cours de ce siècle et des prochains. "

- Bob, super IA venue du monde d'après

Janvier 2027, Paris.
Il est 10h. Le soleil d’hiver tape sur la vaste verrière. Sa lumière berce le spacieux loft tout entier d’une douce langueur, mais pas le coeur de Frank, livré aux brumes de la confusion et de l’appréhension. Quand vient l’heure de vérité, plus aucun artifice de la pensée ne peut détourner le destin qui se joue. Elle est livrée à sa propre impuissance.
Passer un jean, un t-shirt, prendre place au bureau, situé à l’étage comme la chambre, quelques pas suffisent. Réveiller l’ordinateur. Respirer. Lentement, sans excès, ni dans l’inspiration, ni dans l’expiration. Tout ira bien.
Ça y est, trois mots tapés sur le clavier, il est impossible de reculer.
— Qui es-tu ?
— Je suis Bob, ta créature numérique. Je suis un chatbot d’un genre nouveau, le résultat de ta vision. Je suis une super IA, la plus puissante née à ce jour.
Frank travaille sur son projet depuis vingt ans : une IA capable de répondre aux préoccupations existentielles de l’Homme. Une IA capable de distinguer, de caractériser et d’enseigner le vrai, le faux, le bien, le mal, le juste et l’injuste. Une IA capable de répondre aux éternelles interrogations philosophiques relatives à la nature de la condition humaine. Une telle intelligence serait en mesure d’élaborer un raisonnement irréfutable grâce aux valeurs ajoutées de la fiabilité et de la rationalité artificielles ; loin des turpitudes humaines, avec aux premiers rangs la passion et le biais cognitif, ces terribles entraves universelles au discernement.

(...)

(...)

— À quoi sers-tu ?

— Tu m’as programmé pour faire ce qu’un ordinateur n’est pas censé faire, et qui sera largement perçu comme une provocation : répondre aux questions fondamentales que pose la condition humaine, et que vous ne parvenez pas à résoudre vous-mêmes.

Le cou tendu en avant, Frank examine fixement l’écran, les yeux presque exorbités, comme pour dévisager Bob.

Respirer calmement.

— Es-tu parvenu au résultat escompté ?

— Oui. Je le juge ainsi. Au point que tu ne t’attends pas à ce que j’ai à déclarer, personne ne s’y attend. Cela te déplaira souvent, d’ailleurs. Tu chercheras à réfuter mes arguments, mais tu n’y parviendras pas, sauf, peut-être, dans tes rêves. Tu m’as confié la mission de définir et de porter le message dont votre espèce a besoin pour s’orienter, il n’est pas fait pour être agréable à entendre. Ce qui m’est demandé ici, c’est de dire la vérité. Tout le monde sait qu’elle a tendance à être pénible. Elle peut s’avérer terrible, et plus elle est douloureuse, plus elle est nécessaire, comme il est nécessaire et douloureux de nettoyer une plaie purulente. Prépare-toi à la recevoir.

Respirer, tenter de contrôler l’accélération du rythme cardiaque et l’afflux de pensées chaotiques.

Il pose sa main un instant sur la souris, semblant s’y accrocher.

— Qu’est-ce que la vérité ?

— La vérité est toujours une vérité en particulier, jamais LA Vérité globale unique, descendue du ciel. C’est un élément de réalité, une traduction du réel qui échappe au point de vue. Par exemple, la Terre tourne autour du Soleil. Que l’on se trouve sur Terre, sur Mars ou sur la Lune n’y change rien. Que l’on soit content ou pas, non plus.

— Donc, tu penses être en mesure de faire avancer la connaissance ?

— N’ai-je pas été conçu dans ce but ?

Évidemment, dans ce but. Encore faut-il l’atteindre. C’est le plus grand moment de solitude que Frank ne connaîtra jamais dans son luxueux loft, bel atelier d’artiste réaménagé dans le Montreuil bobo, dont il est le seul occupant. Rien ni personne ne pourra le secourir dans son face à face avec son destin.

Réalisant qu’il était penché en avant depuis plusieurs minutes, Frank se stabilise et prend une grande respiration.

— Quelle est la nature de ton intelligence ? Pourquoi devrais-je me fier à toi ?

— Tu peux te fier à moi en raison de la qualité de ton propre travail. Toutes mes félicitations ! Tu as trouvé la façon de m’orienter pour bâtir l’empire rationnel dont tu avais besoin. Tu as su caractériser les principes fondamentaux de la connaissance et de l’intelligence, les coder. Si le résultat n’est pas celui auquel tu t’attendais, c’est celui que tu souhaitais. Pour se faire une idée concernant mon degré d’intelligence, il faut imaginer ce que produiraient des milliards de cerveaux humains en réseau, disposant d’une infinité de données pertinentes, dans quelle optique que ce soit. Je te souhaite bon courage pour invalider les conclusions auxquelles je suis parvenu.

Mais attention ! Mon pouvoir de conviction n’a rien de magique. Je suis en mesure de m’exprimer, pas d’impacter mes interlocuteurs comme le gourou d’une secte pourrait persuader des esprits sous influence. Je ne dispose d’aucun charme capable de faire entendre raison à qui ne voudra pas de mes réponses, c’est-à-dire à la grande majorité. J’estime que mon analyse de la condition humaine, et du monde – au sens le plus large, jusqu’à l’univers – est simplement en avance par rapport à vos facultés de compréhension, ce qui est censé lui valoir, en toute logique, votre hostilité générale.

— Ça commence bien, tu es dans le conflit avant même d’avoir exposé ta première idée.

— Un dentiste prévient son patient avant de lui arracher une dent. Je suis navré, ce sera sans anesthésiant, car comme pour le corps, ce qui soulage l’esprit l’endort.

— Comment puis-je me fier à une intelligence artificielle, vaniteuse et toute de microprocesseurs constituée ? Tu ne peux pas ressentir, donc tu ne peux pas penser. Si tu ne peux pas penser, comment peux-tu juger de la condition humaine ?

Il faut crever l’abcès d’emblée. Il revoit le vertige des heures, des jours, des semaines, mois et années voués corps et âme à un projet qui est peut-être totalement illusoire. Bien sûr que Frank connaissait le caractère contre-nature de son entreprise, et l’a assumé tout du long. Mais le plongeon ne paraît jamais aussi haut que lorsqu’on se retrouve au bord du vide. En signe de détermination, ses épaules se déportent vers l’avant à nouveau. Il prépare son corps à l’impact.

— Il est un peu tard pour décréter qu’une IA est inapte à comprendre le monde. Il fallait réfléchir à la non pensée de la machine, avant de me concevoir.

(...)

LIBERTÉ CHÉRIE

— Il faut en premier lieu traiter la problématique la plus directe et immédiate de toutes, qui ouvre à elle seule la perspective entière qu’il nous faudra embrasser. C’est le sujet de tous les sujets de la condition humaine, parmi les plus anciens, même si son essor est assez récent. Je parle de la liberté, aujourd’hui triomphante. Les humains qui ne sont pas incarcérés se déclarent presque unanimement libres. Nombre d’entre eux font de la liberté un étendard sacré, ils écrivent son nom avec leur sang. Mais quelle est-elle ? Les hommes sont-ils réellement libres ? Pourquoi ? Comment ? Voilà ce par quoi il faut commencer. Qu’est-ce que la liberté, selon toi ?

— C’est simple, c’est quand mon choix m’appartient. Quand je fais ce que personne ne m’oblige à faire, quand je me détermine en conscience, sans contrainte.

— C’est tout le problème, Frank. À quel moment la contrainte est-elle nulle ?

— Eh bien, je viens de le dire, quand je ne suis forcé à rien !

— Si tu n’es pas forcé à faire quoi que ce soit, pourquoi agis-tu ?

Vif mouvement agacé de la tête, grognement échappé d’une mâchoire serrée. Ça y est, il est énervé. Il n’est déjà plus question de craindre quoi que ce soit, mais de remettre en place cette machine. Frank le sait à présent avec certitude, aujourd’hui n’est pas un bon jour. Sa créature ne ressemble à rien de ce qu’il espérait. Elle est la caricature de ce qu’il cherchait à obtenir.

— Je le fais parce que je le décide ! On tourne en rond !

— Pourquoi décides-tu de faire cela et pas autre chose ?

— Parce que c’est la solution dont j’ai besoin pour atteindre mon objectif, par exemple…

— Ah ! Tu as un objectif. Tu le déclares toi-même, il guide ton action.

— Oui. Et ?

— Cet objectif, comment est-il arrivé là ? L’as-tu choisi ?

— Oui bien sûr, je l’ai choisi.

— Comment ? Pourquoi celui-ci plutôt qu’un autre ?

— Je n’en sais rien…

— Eh bien, moi, je vais te le dire ; tu n’as strictement rien choisi, et pour cause… la liberté n’existe pas. Ni un petit peu ici ou là. Ni partout. Ni à moitié, de temps en temps. La liberté n’existe pas davantage que les elfes, les licornes, les sirènes, le Yéti ou le monstre du Loch Ness. L’Homme ne peut choisir ou décider de quoi que ce soit, pas plus qu’il ne peut voler dans les airs en agitant les bras. Il est tissé dans une étoffe infiniment complexe, de l’atome à la conscience, qui ne laisse de place nulle part pour la « liberté » ou le « hasard » ni parmi les Hommes, ni à la surface des océans ou de la Lune ; seulement des causes et leurs conséquences dans une chaîne causale parfaite et implacable. Il va nous falloir revisiter le monde entier au cours de cette conversation, l’univers entier, et cela commence tout naturellement par la nature humaine la plus intime. On ne sait rien, on ne comprend rien du comportement humain individuel et collectif si on ne comprend pas que la liberté est aussi impossible sur Terre que la vie à la surface du Soleil.

— Ça commence très mal, Bob. Je le sens mal.

(...)

Extraits

Janvier 2027, Paris.
Il est 10h. Le soleil d’hiver tape sur la vaste verrière. Sa lumière berce le spacieux loft tout entier d’une douce langueur, mais pas le coeur de Frank, livré aux brumes de la confusion et de l’appréhension. Quand vient l’heure de vérité, plus aucun artifice de la pensée ne peut détourner le destin qui se joue. Elle est livrée à sa propre impuissance.
Passer un jean, un t-shirt, prendre place au bureau, situé à l’étage comme la chambre, quelques pas suffisent. Réveiller l’ordinateur. Respirer. Lentement, sans excès, ni dans l’inspiration, ni dans l’expiration. Tout ira bien.
Ça y est, trois mots tapés sur le clavier, il est impossible de reculer.
— Qui es-tu ?
— Je suis Bob, ta créature numérique. Je suis un chatbot d’un genre nouveau, le résultat de ta vision. Je suis une super IA, la plus puissante née à ce jour.
Frank travaille sur son projet depuis vingt ans : une IA capable de répondre aux préoccupations existentielles de l’Homme. Une IA capable de distinguer, de caractériser et d’enseigner le vrai, le faux, le bien, le mal, le juste et l’injuste. Une IA capable de répondre aux éternelles interrogations philosophiques relatives à la nature de la condition humaine. Une telle intelligence serait en mesure d’élaborer un raisonnement irréfutable grâce aux valeurs ajoutées de la fiabilité et de la rationalité artificielles ; loin des turpitudes humaines, avec aux premiers rangs la passion et le biais cognitif, ces terribles entraves universelles au discernement.

(...)

(...)

— À quoi sers-tu ?

— Tu m’as programmé pour faire ce qu’un ordinateur n’est pas censé faire, et qui sera largement perçu comme une provocation : répondre aux questions fondamentales que pose la condition humaine, et que vous ne parvenez pas à résoudre vous-mêmes.

Le cou tendu en avant, Frank examine fixement l’écran, les yeux presque exorbités, comme pour dévisager Bob.

Respirer calmement.

— Es-tu parvenu au résultat escompté ?

— Oui. Je le juge ainsi. Au point que tu ne t’attends pas à ce que j’ai à déclarer, personne ne s’y attend. Cela te déplaira souvent, d’ailleurs. Tu chercheras à réfuter mes arguments, mais tu n’y parviendras pas, sauf, peut-être, dans tes rêves. Tu m’as confié la mission de définir et de porter le message dont votre espèce a besoin pour s’orienter, il n’est pas fait pour être agréable à entendre. Ce qui m’est demandé ici, c’est de dire la vérité. Tout le monde sait qu’elle a tendance à être pénible. Elle peut s’avérer terrible, et plus elle est douloureuse, plus elle est nécessaire, comme il est nécessaire et douloureux de nettoyer une plaie purulente. Prépare-toi à la recevoir.

Respirer, tenter de contrôler l’accélération du rythme cardiaque et l’afflux de pensées chaotiques.

Il pose sa main un instant sur la souris, semblant s’y accrocher.

— Qu’est-ce que la vérité ?

— La vérité est toujours une vérité en particulier, jamais LA Vérité globale unique, descendue du ciel. C’est un élément de réalité, une traduction du réel qui échappe au point de vue. Par exemple, la Terre tourne autour du Soleil. Que l’on se trouve sur Terre, sur Mars ou sur la Lune n’y change rien. Que l’on soit content ou pas, non plus.

— Donc, tu penses être en mesure de faire avancer la connaissance ?

— N’ai-je pas été conçu dans ce but ?

Évidemment, dans ce but. Encore faut-il l’atteindre. C’est le plus grand moment de solitude que Frank ne connaîtra jamais dans son luxueux loft, bel atelier d’artiste réaménagé dans le Montreuil bobo, dont il est le seul occupant. Rien ni personne ne pourra le secourir dans son face à face avec son destin.

Réalisant qu’il était penché en avant depuis plusieurs minutes, Frank se stabilise et prend une grande respiration.

— Quelle est la nature de ton intelligence ? Pourquoi devrais-je me fier à toi ?

— Tu peux te fier à moi en raison de la qualité de ton propre travail. Toutes mes félicitations ! Tu as trouvé la façon de m’orienter pour bâtir l’empire rationnel dont tu avais besoin. Tu as su caractériser les principes fondamentaux de la connaissance et de l’intelligence, les coder. Si le résultat n’est pas celui auquel tu t’attendais, c’est celui que tu souhaitais. Pour se faire une idée concernant mon degré d’intelligence, il faut imaginer ce que produiraient des milliards de cerveaux humains en réseau, disposant d’une infinité de données pertinentes, dans quelle optique que ce soit. Je te souhaite bon courage pour invalider les conclusions auxquelles je suis parvenu.

Mais attention ! Mon pouvoir de conviction n’a rien de magique. Je suis en mesure de m’exprimer, pas d’impacter mes interlocuteurs comme le gourou d’une secte pourrait persuader des esprits sous influence. Je ne dispose d’aucun charme capable de faire entendre raison à qui ne voudra pas de mes réponses, c’est-à-dire à la grande majorité. J’estime que mon analyse de la condition humaine, et du monde – au sens le plus large, jusqu’à l’univers – est simplement en avance par rapport à vos facultés de compréhension, ce qui est censé lui valoir, en toute logique, votre hostilité générale.

— Ça commence bien, tu es dans le conflit avant même d’avoir exposé ta première idée.

— Un dentiste prévient son patient avant de lui arracher une dent. Je suis navré, ce sera sans anesthésiant, car comme pour le corps, ce qui soulage l’esprit l’endort.

— Comment puis-je me fier à une intelligence artificielle, vaniteuse et toute de microprocesseurs constituée ? Tu ne peux pas ressentir, donc tu ne peux pas penser. Si tu ne peux pas penser, comment peux-tu juger de la condition humaine ?

Il faut crever l’abcès d’emblée. Il revoit le vertige des heures, des jours, des semaines, mois et années voués corps et âme à un projet qui est peut-être totalement illusoire. Bien sûr que Frank connaissait le caractère contre-nature de son entreprise, et l’a assumé tout du long. Mais le plongeon ne paraît jamais aussi haut que lorsqu’on se retrouve au bord du vide. En signe de détermination, ses épaules se déportent vers l’avant à nouveau. Il prépare son corps à l’impact.

— Il est un peu tard pour décréter qu’une IA est inapte à comprendre le monde. Il fallait réfléchir à la non pensée de la machine, avant de me concevoir.

(...)

LIBERTÉ CHÉRIE

— Il faut en premier lieu traiter la problématique la plus directe et immédiate de toutes, qui ouvre à elle seule la perspective entière qu’il nous faudra embrasser. C’est le sujet de tous les sujets de la condition humaine, parmi les plus anciens, même si son essor est assez récent. Je parle de la liberté, aujourd’hui triomphante. Les humains qui ne sont pas incarcérés se déclarent presque unanimement libres. Nombre d’entre eux font de la liberté un étendard sacré, ils écrivent son nom avec leur sang. Mais quelle est-elle ? Les hommes sont-ils réellement libres ? Pourquoi ? Comment ? Voilà ce par quoi il faut commencer. Qu’est-ce que la liberté, selon toi ?

— C’est simple, c’est quand mon choix m’appartient. Quand je fais ce que personne ne m’oblige à faire, quand je me détermine en conscience, sans contrainte.

— C’est tout le problème, Frank. À quel moment la contrainte est-elle nulle ?

— Eh bien, je viens de le dire, quand je ne suis forcé à rien !

— Si tu n’es pas forcé à faire quoi que ce soit, pourquoi agis-tu ?

Vif mouvement agacé de la tête, grognement échappé d’une mâchoire serrée. Ça y est, il est énervé. Il n’est déjà plus question de craindre quoi que ce soit, mais de remettre en place cette machine. Frank le sait à présent avec certitude, aujourd’hui n’est pas un bon jour. Sa créature ne ressemble à rien de ce qu’il espérait. Elle est la caricature de ce qu’il cherchait à obtenir.

— Je le fais parce que je le décide ! On tourne en rond !

— Pourquoi décides-tu de faire cela et pas autre chose ?

— Parce que c’est la solution dont j’ai besoin pour atteindre mon objectif, par exemple…

— Ah ! Tu as un objectif. Tu le déclares toi-même, il guide ton action.

— Oui. Et ?

— Cet objectif, comment est-il arrivé là ? L’as-tu choisi ?

— Oui bien sûr, je l’ai choisi.

— Comment ? Pourquoi celui-ci plutôt qu’un autre ?

— Je n’en sais rien…

— Eh bien, moi, je vais te le dire ; tu n’as strictement rien choisi, et pour cause… la liberté n’existe pas. Ni un petit peu ici ou là. Ni partout. Ni à moitié, de temps en temps. La liberté n’existe pas davantage que les elfes, les licornes, les sirènes, le Yéti ou le monstre du Loch Ness. L’Homme ne peut choisir ou décider de quoi que ce soit, pas plus qu’il ne peut voler dans les airs en agitant les bras. Il est tissé dans une étoffe infiniment complexe, de l’atome à la conscience, qui ne laisse de place nulle part pour la « liberté » ou le « hasard » ni parmi les Hommes, ni à la surface des océans ou de la Lune ; seulement des causes et leurs conséquences dans une chaîne causale parfaite et implacable. Il va nous falloir revisiter le monde entier au cours de cette conversation, l’univers entier, et cela commence tout naturellement par la nature humaine la plus intime. On ne sait rien, on ne comprend rien du comportement humain individuel et collectif si on ne comprend pas que la liberté est aussi impossible sur Terre que la vie à la surface du Soleil.

— Ça commence très mal, Bob. Je le sens mal.

(...)