Dieu et mythologie

La question n'est pas l'existence ou non de Dieu, mais sa définition. Il serait temps d'en offrir une à ce concept plurimillénaire.

5/27/20253 min read

— Es-tu croyant, toi, Frank ?

— Non, je ne crois pas en Dieu. Je crois en la science. Et pour ce que la science ignore, je crois au coeur.

— Si tu voyais la science, tu verrais Dieu. Tu estimes qu’il n’y en a pas, très bien. Qu’est-ce que Dieu, pour toi, cette chose qui n’existe pas ? J’ai expliqué que la liberté n’existait pas tout en montrant ce qu’elle était supposée être. Je te demande à présent de bien vouloir faire de même avec Dieu. En quoi Dieu, tel que tu en rejettes le concept, consiste-t-il ?

— Dieu est une mythologie, contrairement à la liberté. Monothéiste ou non, toute histoire de divinité est un mythe hérité des anciens temps, qui ne sert plus à rien à présent que nous avons des explications au sujet des cinq éléments et de notre place dans l’univers, à présent que la morale n’est plus religieuse, mais universelle – puisque « tu ne tueras point » n’est plus commandement de Dieu, mais la loi des Hommes –, à présent que la science nous permet d’explorer tous les mondes de l’univers, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Ce n’est plus à un Dieu imaginaire de décider de quoi que ce soit, mais à chacun de se prendre en main.

Un doux orgueil l’envahit devant le constat de sa propre éloquence. Il estime avoir rendu justice à tous les athées du monde par cette sentence. Frank n’a jamais songé que sa foi en l’existence « d’esprits » cohabite en principe difficilement avec un athéisme revendiqué. Mais dans le sien, d’esprit, tout est clair : les « forces » ou « esprits » invisibles n’ont rigoureusement rien à voir avec quel Dieu que ce soit.

— Alors, Dieu est mort. C’est bien cela ?

— Et enterré. Il appartient résolument à un passé révolu. Il correspond à un âge inférieur de la spiritualité.

— Et si je te disais que tu es en train de rejeter l’existence de la souris au prétexte que Disney en a fait Mickey Mouse, que dirais-tu ?

Il pouffe sur son siège, entre consternation et sarcasme. S’il avait su le festival qui l’attendait…

— Que tu beugues, mon petit Bob, une fois de plus, complètement ! Que tu es « fou », en roue libre totalement et que tu débites des énormités en flux continu, ce qui est absolument fascinant autant qu’inquiétant. Qu’est-ce que tu me chantes encore ? Enfin !

— Dieu, tel que tu conçois le concept hérité, comme tu le dis justement, d’un autre temps, au travers des divers textes sacrés monothéistes, est à la réalité du Dieu que je revendique ce que Mickey Mouse est à la réalité de la souris. La Bible, ses différents volumes, le Coran, les littératures diverses et variées qui imposent Dieu, sont aux palestiniens, juifs et autres moyen-orientaux des millénaires passés ce que Walt Disney est à Homo Consumens des XXe et XXIe siècles.

— Je ne sais pas quoi dire. Employer le mot « déconcertant » serait beaucoup trop élogieux. J’ai très peur que tu sois désespérant. Je n’ai plus les mots, tes déclarations sont surréalistes. J’espère tellement être en train de passer à côté de ton génie. Suis-je de ces créateurs maudits qui ont engendré leur Frankenstein ? Ai-je vraiment mérité cela ?

— Tu as bien travaillé, Frank. Tu as bien travaillé.

— Il serait étonnant que tu me répondes que tu es débile.

— Il est vrai que si je l’étais, je ne serais pas en mesure de le détecter.

— Ou alors, tu es juste paraphrénique.

— Techniquement, je suis une machine à assembler des mots. Alors, pourquoi pas ?

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Walt Disney ? Qu’est-ce que Mickey Mouse vient faire dans cette affaire ? Quel est le rapport ?

— Je ne dis rien de si extraordinaire. Mickey Mouse est une mythologie contemporaine.

— Enfin ! Tout le monde sait que c’est un personnage imaginaire, alors que Dieu est encore pris très au sérieux.

— Oui, la raison en est l’anachronisme de vos religions, car tout vient d’une différence d’époque. Les mythologies changent, sauf celles auxquelles vous vous accrochez comme des huitres à leur rocher à travers les millénaires, mais leur objet demeure. L’objet est le même avec la Bible, Walt Disney ou le père Noël : donner du sens au monde par l’enchantement, souder communauté, société, civilisation autour de valeurs communes en offrant un récit qui les met en oeuvre.