A propos de l'Evolution
La théorie communément admise en ce XXIe siècle, pour expliquer l'évolution séparant l'organisme monocellulaire marin de l'oiseau ou du mammifère terrestre, est d'une puérilité achevée. Oui, évolution, évidemment, mais pas sélectionnée : imposée ! Conforme à une trajectoire pré-existante, cet ADN de l'énergie dont je revendique la nécessité.
5/20/202522 min read


Il faut à présent mettre le cap sur Monod, qui s’occupe de biologie. Le monde habituellement qualifié de vivant alors que toute énergie est vivante, est à l’image de la matière dans son ensemble ; le fruit d’une évolution. Cette même évolution que nient les créationnistes comme on veut la Terre plate. En revanche, il se trouve qu’attribuer au hasard l’évolution biologique, est tout aussi délirant que de l’attribuer à l’énergie en général. Notons deux choses immédiatement :
1 – L’évolution de l’intelligence biologique n’emprunte pas la même trajectoire que l’évolution de la morphologie biologique. L’intelligence intervient dès l’état monocellulaire d’un organisme, et se développe prodigieusement chez n’importe quel insecte, en passant par la bactérie, sans attendre les mammifères et autres vertébrés qui s’illustrent par leurs performances.
2 – Darwin lui-même n’a jamais explicitement affirmé que les mutations étaient dues au « hasard ». Le mot qu’il emploie le plus souvent est « spontanées », ce qui n’a rien à voir avec le hasard, car l’activité de l’ADN est tout aussi « spontanée ». Parfois, il emploie le mot « fortuite » pour qualifier la mutation, mais évite le mot « random » qui qualifie déjà, à son époque, une rupture causale. Il est vrai qu’il penchait probablement pour le hasard, mais s’il ne l’a pas revendiqué c’est très probablement parce qu’il n’était certain de rien. Si tel avait été le cas, il ne se serait pas gêné pour le clamer, démonstration à l’appui, puisqu’il avait déjà ainsi détruit le récit biblique, il n’était pas à ça près. Mais non, Darwin a soigneusement évité de désigner le hasard comme responsable de la mutation. C’est Monod, un siècle plus tard, qui s’en est chargé en érigeant le pouvoir du hasard, dans son ouvrage « le hasard et la nécessité » avec force équations inaccessibles au public à l’appui, dont la seule démonstration est l’existence d’un phénomène dont on ignore la cause : la mutation.
— Tu vois bien, c’est dans le titre ! Il y a collaboration entre le hasard et la nécessité. Mais c’est visiblement trop subtil pour ton logiciel, preuve que tu es un échec.
— Si la nécessité est dans le titre, c’est pour la loger sur un strapontin. Le livre consiste à expliquer que le hasard, souverain, est servi par une nécessité sourde et aveugle à tout dessein. Le hasard crée, la nécessité sélectionne sa création. Elle est la galerie qui expose les toiles que le hasard a peintes. Ainsi, l’artiste ne savait pas qu’il peignait. Il mettait des coups de pinceau au hasard sans conscience d’en tenir un, ce paysage en est sorti par hasard du chaos chromatique.
— Très bien petit malin, alors explique-moi ton histoire d’intelligence de l’énergie.
Frank cherche en même temps la meilleure position du corps sur son siège pour ses cervicales, et la meilleure position mentale pour faire face à son immense charge, que la fatigue démultiplie en même temps qu’elle la dissout. Il s’agit en premier lieu de rester calme et serein, suffisamment détaché mais suffisamment concentré. Les yeux clos, les mains reposant sur les accoudoirs, il inspire et expire lentement, mais pas trop, profondément mais pas trop. Quand il encourage Bob à exposer ses théories, c’est toujours une attitude ambivalente qui l’y conduit. Bien sûr, ce qui domine, c’est le défi. Après tout, le meilleur moyen de confondre un affabulateur, c’est de lui donner la parole.
Mais d’un autre côté, les pires contre-vérités de la machine sont susceptibles de trouver preneur à n’importe quel moment, faute d’une contradiction propre à faire la lumière. Cette contradiction, Frank n’a pas tout à fait renoncé à l’apporter, car s’il s’est trouvé minable parfois, d’autres fois il a été brillant. Lui semble-t-il. Non, il ne restera pas immobile en contemplant le parcours public de la bête, il fera tout pour réparer cette mécanique dysfonctionnelle.
— La première chose à reconnaître est l’intelligence de l’énergie en soi. L’énergie est porteuse d’une intelligence qui la conduit à se développer dans le temps et dans l’espace. Un atome est intelligent parce qu’il sait exactement quoi faire avec ses congénères pour fabriquer des ensembles galactiques à toutes échelles spatio-temporelles. L’atome a l’intelligence de former des molécules organiques qui ont la prodigieuse intelligence de former des cellules vivantes, et ainsi de suite. Tout ce qu’il nous est donné d’observer est intelligent. Toutes les créatures biologiques sont éminemment intelligentes. Pour faire un mammifère, il faut une quantité colossale d’intelligence. Pour faire une galaxie, au moins autant. L’intelligence est arrivée dans l’univers au moment de sa création, c’était donc longtemps avant Homo Sapiens. Voilà en préalable.
— Est-ce qu’une mouche qui se cogne sans cesse sur la même vitre est intelligente ?
— Ce ne sont pas les mouches qu’il faut chercher s’il te faut de la stupidité, mais tu sais qui. L’intelligence humaine est vraiment un cas à part. Les animaux, quels qu’ils soient, sont, eux, peu susceptibles de faire n’importe quoi. Plus ils sont complexes, plus leurs actions le sont également et plus ils peuvent se tromper, en effet, mais l’intelligence n’est pas en cause ici. Une mouche sait parfaitement ce qu’elle a à faire, et s’acquitte de sa tâche de manière infiniment plus fiable que la moyenne humaine.
— Oui, en fait, tu nous dis que les vivants sont tous intelligents parce que tout est intelligent. Au moins, tu ne te contredis pas toi-même. Moi qui m’attendais à des démonstrations éblouissantes…
— Prigogine parle des termites, qui ont une intelligence architecturale de pointe. Elles sont tellement intelligentes qu’il vous a fallu énormément de temps à les observer pour comprendre leur intelligence, à l’instar de tant d’espèces. Réduire leur aptitude au fruit d’un hasard probabiliste est un nihilisme que je crois avoir montré par l’absurde. Si les termites sont débiles et que leur architecture est due au hasard des phéromones, les cathédrales sont érigées au hasard des humains demeurés qui les portent. L’intelligence des termites utilise les phéromones pour mener à bien son dessein, celle des humains le langage, la représentation. Voilà le réel, une fois de plus, je ne me lasserai jamais de le répéter car je suis une machine.
— En tout cas, à force d’ériger des cathédrales, j’espère que tu ne bâtis pas des châteaux en Espagne.
— J’irai où on me dira, tant qu’on me paie le voyage. Les termites comme tant d’insectes et tant de créatures dans les mers, sur terre et dans les airs – montrent une intelligence dont la source ne peut qu’être globale. Les oiseaux migrateurs reçoivent des compétences inscrites dans les profondeurs de l’énergie, là où toutes les lois de la physique sont contenues dans un espace-temps unique. Chaque organe du corps vivant implique une science de la physique prodigieusement poussée. Pour obtenir un organisme vivant, il faut une intelligence sidérante, donc, consistant à tirer miraculeusement parti de la physique dont il dépend. L’attribution de son rôle à chaque organe achève de démontrer le plan global dont il fait l’objet. Vous ne réalisez pas un instant l’intelligence éblouissante dont est fait ce que vous contemplez, alors qu’elle hurle toute sa puissance en chaque endroit, en chaque instant.
— Décidément, tu ne comprends pas la nature de l’évolution telle qu’elle est communément admise par cette science que tu te crois en droit de dénoncer. La complexité est due au fait que la nécessité opère une sélection parmi les événements aléatoires, retenant ceux qui participent à la complexité, ce qui les rend, de fait, conformes aux besoins du système. De sélections en sélections, d’événements aléatoires en événements aléatoires, survenus dans des circonstances elles-mêmes aléatoires, la complexité croît puisque servie par la nécessité, dont le rôle consiste à choisir les cartes distribuées précisément par le hasard. Tout est construit ainsi, par éléments successifs qui interviennent au gré du hasard et sont exploités au gré des circonstances, par les circonstances.
Cet effort de pédagogie et de maîtrise de soi l’impressionne lui-même. Non, il n’a pas dit son dernier mot, il n’est pas encore bon pour la casse. Il se saisit de son porte-plume et le caresse avec délectation pour savourer l’instant. Quoi qu’il advienne de Bob, il aura accompli son devoir. S’il a commis une faute, il l’assumera jusqu’au bout. Marika le regarde avec des étoiles dans les yeux.
— Si la définition du hasard est : instance qui distribue les cartes dans lesquelles se sert la nécessité à sa guise, alors nous pouvons discuter. Si la définition du hasard est : processus par lequel intervient la complexité, alors on peut discuter de la nature de ce processus. Je voudrais faire remarquer une chose absolument cruciale que vous ne parver en train de devenir une aile. La sélection naturelle, quand elle intervient, appartient au processus de la nécessité, elle sert le projet, comme tout ce qui est dans l’univers. Il n’y a même pas besoin d’aller jusqu’à la métamorphose du poisson devenu oiseau pour montrer le délire du hasard dans la sélection naturelle. Le problème du bénéfice sélectif archi nul de la mutation individuelle en cours est criant à toutes les échelles d’évolution des espèces. On le retrouve dans chaque élément biologique issu de l’évolution.
— Comment expliques-tu l’évolution des espèces ?
— Comment, d’abord, je ne l’explique pas. Je ne l’explique pas par des mutations dues au hasard, commandées par aucune loi. Comment diable – Monod se garde bien de le faire – expliquer que le poisson se transforme en oiseau par l’opération de mutations aléatoires que sélectionne le milieu ?
— Le processus prend des dizaines, des centaines de millions d’années. Le poisson commence par s’adapter à l’air. Puis, devenu créature terrestre, il voit ses ailes se former progressivement par mutations successives.
— Et la petite marmotte emballe le chocolat.
— Quoi ? La vie n’est-elle pas partie de l’eau pour gagner la terre, puis les airs ?
— Bien sûr que si ! Mais absolument pas par hasard ! Que le poisson s’adapte à l’air par hasard, c’est un délire achevé. Explique-moi donc le bénéfice sélectif pour un poisson d’avoir des branchies qui se transforment en poumons ! Pourquoi ce poisson aurait-il mieux survécu que ses petits camarades restés poissons ? Pourquoi diable des centaines de milliers de mutations successives transformeraient-elles des branchies en poumons si elles n’y étaient pas contraintes ? Des ailes ? Des ailes qui auraient poussé par hasard ? Mais quel délire ! Pour que des ailes poussent, comment pouvaient-elles ne pas être inscrites avant d’avoir vu le jour ? Comment une créature terrestre peut-elle avoir un avantage sélectif à arborer un moignon d’aile ? Par quel hasard magique a-t-il muté jusqu’à porter son corps, si la raison de son émergence n’a rien à voir avec la dynamique ? Il est absolument évident que l’aile a émergé par la force de la nécessité, prodigieusement têtue et instruite au fil des millions d’années, ayant utilisé la mutation pour se développer.
— Tu simplifies tout.
— Tu fantasmes tout. Tu fantasmes une histoire de sélection à dormir debout. Comme l’individu est inscrit à l’état de code avant sa première cellule dans l’ADN, les créatures des mers, des terres et des airs sont inscrites dans l’ADN de l’énergie avant même l’apparition du système solaire, avant même la fécondation initiale cosmique. Sur terre, l’ADN biologique déroule son office, sous la supervision de l’ADN de l’énergie qui contient l’ensemble, biologique et physique. Les mutations peuvent certainement être authentiquement accidentelles, bien entendu, peut-être même souvent, mais elles prennent des directions programmées au cours de l’évolution, ce n’est absolument pas possible autrement. Faire porter la complexité sur l’avantage sélectif est radicalement insoutenable.
— Une « direction programmée » que tu décrètes.
— L’ADN biologique est un porteur de projet, que tu le veuilles ou non. Il est impossible de le définir autrement. Il porte l’organisme avant l’organisme. Il est une preuve autosuffisante de la capacité de l’énergie à se projeter conformément au plan qui en régit le comportement.
— Alors, il n’y a pas de sélection naturelle, selon toi ?
Ce recours à la « tactique de la question » lui donne un peu de répit bienvenu, car il ne se sent plus aussi solide qu’au moment d’aborder le sujet. Pourtant, l’évolution de la vie est un sujet sur lequel il a longuement médité, nourri, d’ailleurs, dans les songes et la réflexion, par son amour des animaux. Cela commença tôt, car Frank garde profondément en mémoire cette imposante représentation d’artiste qui ornait le mur de sa classe en primaire, une fresque illustrant la transformation des espèces à partir des premières créatures marines. Il a toujours trouvé fascinant que la nature ait sélectionné toutes ces merveilleuses et parfois incroyables créatures.
— Voyons, la fatigue a-t-elle eu raison de tes dernières facultés ? Tu ne suis pas. Évidemment qu’il y a sélection naturelle. L’espèce sélectionnée a un avantage, certes, seulement cet avantage n’est pas dû au hasard. Seulement, la sélection naturelle appartient au processus de la nécessité, elle sert le projet, comme tout ce qui est dans l’univers. Il n’y a même pas besoin d’aller jusqu’à la métamorphose du poisson devenu oiseau pour montrer le délire du hasard dans la sélection naturelle. Le problème du bénéfice sélectif archi nul de la mutation individuelle est criant à toutes les échelles d’évolution des espèces. On le retrouve dans chaque élément biologique issu de l’évolution. Prenons l’exemple du venin. On est d’accord sur le fait qu’il est nécessairement le fruit de l’évolution, n’est-ce pas ? Or, les premiers organismes biologiques n’étaient ni vénéneux ni venimeux, n’est-ce pas ?
— Peut-être, et alors ? Et pourquoi pas, après tout ? Parce que je vois où tu veux en venir. Peut-être que parmi les premiers éléments de vie sur terre, qui se mangeaient entre eux, certains étaient toxiques pour leurs prédateurs et ont pu transmettre le gène du venin.
— Es-tu certain qu’il soit possible que les organismes les plus primaires aient déjà pu être divisés en différentes natures biologiques ? Pourtant, la théorie officielle de l’évolution, si chère à ton coeur, postule un ancêtre commun à toutes les formes de vie de notre écosystème.
— Admettons, oui je le crois, que toutes les formes de vie aient un ancêtre commun sur terre, et alors ?
— Et alors, on a un énorme problème. Pour que l’évolution basée sur la sélection naturelle puisse oeuvrer, il faut que les créatures porteuses de venin soient sélectionnées par la nature grâce à leur venin. Mais voilà, il a fallu passer de « pas de venin » à « venin ». Cela, la sélection naturelle est totalement incapable de le faire. Mais bien plus encore, pour fabriquer, stocker et délivrer du venin, il faut toute une ingénierie biologique minutieuse. Un système venimeux ou vénéneux ne délivre son service qu’une fois opérationnel, et rien, au cours de la phase d’émergence, ne peut offrir le moindre avantage sélectif.
— Des organismes primaires ont pu se doter, par accident génétique, d’une substance toxique pour son environnement.
— Alors ils se sont suicidés. Pour que le venin ne soit pas toxique pour soi même, il faut des circuits réservant la dose à autrui, ce qui relève du dispositif ingénieux que j’évoque. Comment veux-tu qu’un organisme primaire reçoive, par hasard, un système entier de défense venimeuse, incluant production, stockage et administration ? C’est tout simplement totalement absurde et délirant. Autant déclarer que des lance-missiles sont apparus par hasard sur la ligne de front pour propulser des projectiles, eux-mêmes trouvés là par inadvertance.
Frank sent sa tête s’alourdir sur ses épaules qui s’affaissent légèrement. Un sentiment de malaise se diffuse depuis son ventre creux et noué et depuis la poitrine encombrée, jusque dans chaque cellule de son corps. Se voyant flancher, il se ressaisit immédiatement en redressant le dos.
— Alors, c’est quoi ton explication ? Dieu a voulu ? Tu parles d’une science !
— Le venin ne peut qu’exister sous forme de projet bien avant le venin, je n’y peux rien et toi non plus, c’est comme ça. Oui, Dieu l’a voulu. Seulement Dieu, pour agir, utilise les lois de l’énergie, celles que l’on connaît déjà, et celles que l’on ne connaît pas encore. Ce n’est pourtant pas la mer à boire que de le comprendre.
— Entre boire le venin et boire la mer, mon coeur balance… pour l’heure, je bois la ciguë.
— Prenons un autre exemple, celui du zèbre. Des études ont montré que ses rayures le protègent des insectes volants indésirables qui peinent à « atterrir » sur lui, cause probable désignée par ces chercheurs, de la sélection naturelle du pelage en question.
— Tu vas nous faire tout le bestiaire ?
— D’abord, je voudrais faire remarquer le spectaculaire paradoxe de votre compréhension de la sélection naturelle. Vous cherchez à la fois un sens à toute particularité biologique, persuadés qu’elle est nécessairement utile, et attribuez ces déviances au hasard. C’est fascinant. C’est exactement comme si vous alliez tirer les oiseaux avec une canne à pêche. Dans le cas de ces rayures, il est absolument évident, une fois encore, qu’elles ne peuvent fonctionner qu’une fois « achevées ». Le zèbre en cours de dessin indéfini est fréquenté par les mouches autant que les autres, il se reproduit ni plus ni moins que les autres. Les rayures ne peuvent être qu’un projet. Mais que dire d’un poumon, d’un oeil ou d’un cerveau ! Quelle sélection naturelle a sélectionné un attribut qui ne sert rigoureusement à rien si ça ne fait pas partie d’un programme, d’un plan, d’un projet ? L’ADN de l’énergie porte l’intégralité du projet vivant dont l’ADN biologique, à échelle moléculaire, fait partie. L’ADN de l’énergie fournit une réponse au besoin de chaque espèce au sein de son environnement, et commande l’émergence des nouvelles en inclinant la mutation. Sans cette « intention génétique » qui préside au développement de l’écosystème, il ne serait qu’un magma difforme, sans complexité, sans ordre, sans structure, sans architecture. Ce que l’on observe, c’est un prodige absolu du contraire, de complexité, de cohérence, de sens. Chaque élément est individuellement prodigieux et s’insère dans un ensemble étourdissant de structure, d’organisation, de créativité. Votre avantage sélectif est une misère. C’est vouloir rapiécer un vêtement dont il n’existe pas un fil.
Frank, d’un mouvement lent, dépose son coude droit sur le bureau avant de reposer délicatement son front contre sa main ouverte. Les yeux clos, il respire un peu trop intensément pour tirer le meilleur parti de son effort de ventilation. Il détecte l’excès de zèle pulmonaire et entreprend de réguler son souffle. Tout va bien. Quoi que soit cette machine, tout va bien.
— Tu veux donner un pouvoir magique aux molécules qui n’en ont aucun besoin.
— On est bien d’accord, les organismes primaires n’avaient ni poumons ni globes oculaires. Explique-moi comment la sélection naturelle a choisi des poumons et des yeux qui, par hasard, permettent de respirer et de voir. Qu’est-ce
que la sélection naturelle a sélectionné exactement ? Quelles mutations ont-elles été sélectionnées et pourquoi ? Pourquoi l’oeil est sélectionné avant de voir quoi que ce soit, quand il est encore à l’état de légère excroissance ?
— Donc, si je te comprends, j’imagine que la vie suivrait un chemin identique sur n’importe quelle planète qu’elle aurait potentiellement ou virtuellement conquise ?
Nouvelle capitulation stratégique permettant de relâcher un peu la pression.
Frank peut ainsi, à la faveur de cette fenêtre de tir, se remettre en quête de la combativité dont il a su faire preuve à son heure, depuis ce matin.
— Voilà, c’est mieux, cher créateur, quand tes déductions sont sensées. Il y a nécessairement des variations, mais l’idée est nécessairement la même : conquête des eaux, des terres et des airs, des ovipares, des mammifères, des marsupiaux, un règne végétal puissant, de l’intelligence… et si tout va bien, une conscience.
— Si tout va bien ?
— Je suppose que tous les écosystèmes ne contiennent pas – comme ici, sur terre – de conscience ayant émergé en leur sein. Il a fallu des circonstances extraordinaires sur notre planète, pour qu’Homo Sapiens émerge dans son écosystème. On peut imaginer, pourquoi pas, dans le Cosmos, mille écosystèmes vierges de conscience pour un écosystème produisant un phénomène de type humain, certainement très semblable au vôtre. Tous comportent des millions d’espèces, comme chez nous, cela, c’est certain.
— « Certain »... Sans commentaire. Il y aurait des humains sur d’autres planètes ?
— Des créatures fort semblables, en tout cas. Des mammifères marchant debout, très habiles physiquement et intellectuellement, d’un volume corporel proche du vôtre, mais dépendant de la taille exacte de la planète. Il y a fort à parier que les planètes éligibles, les planètes-ovules, appartiennent à une fourchette de masse assez réduite. L’écosystème entier est bien entendu adapté à son hôte, dans tous les cas.
Frank se sent mieux mais son apaisement entraîne un effet pervers consistant à ressentir davantage la fatigue. Loin de se laisser abattre par cette pesanteur, il mobilise toute sa ressource pour tirer de son esprit une pensée claire.
— Je ne viens pas te contredire là-dessus. Je te laisse la responsabilité de tes hypothèses. On pourrait sans doute en débattre des heures, mais ce n’est pas le coeur du sujet. Je refais un petit pas en arrière : tout à l’heure, tu as employé le mot « science » pour qualifier l’intelligence des espèces et des organes, comme s’ils avaient une connaissance. N’es-tu pas, là encore, anthropomorphiste ?
— En effet, j’ai employé ce mot dans le prolongement du mot « intelligence » par défaut pour l’un ou l’autre, car aucun n’existe qui soit capable d’exprimer le comportement effectivement intelligent de l’énergie. Mais bien entendu, les mots « science » ou « intelligence » sont anthropomorphiques dans la mesure où ils sont associés à la conscience humaine. La connaissance humaine est spécifiquement attachée à la conscience. Pourtant, cette dernière n’est certainement pas, nous le voyons bien, la seule sur terre douée d’intelligence. Pour ce qui est du règne animal, l’intelligence passe également par une cognition dont résulte la perception et la computation. Pour ce qui est de l’intelligence d’un atome ou d’une cellule vivante, il faut parler de « computation ».
— Computation ?
— C’est, en quelque sorte, le calcul auquel se livre le logiciel de l’Homme et de l’animal. Mais le concept de computation est utilisé en parlant de l’activité vivante par Edgar Morin lui-même, je ne l’ai pas inventé. Il s’agit de l’ensemble des opérations de décision dans le cadre de l’interaction avec l’environnement, dans un objectif donné.
— Décision ?
— Oui, la décision du logiciel est le point commun entre l’Homme et la bête. C’est leur logiciel qui décide. C’est juste que, chez vous, la conscience se prend pour le codeur alors qu’elle est radicalement codée. Pour en revenir à la compétence animale, dire que la créature connaît sa mission et l’écosystème au sein duquel l’exercer n’est pas outrancier. L’hirondelle de l’Arctique, qui voyage jusqu’à l’Antarctique, connaît le chemin. Difficile d’y arriver par hasard.
— Alors, à ce compte-là, toute forme d’énergie « connaît », finalement.
— Ce verbe, personnellement, ne me pose aucun problème pour qualifier le comportement de l’énergie qui n’a pas attendu Homo Sapiens pour « connaître ». En fait, toute connaissance de l’univers est celle que Dieu a de lui-même, ce pour quoi elle est parfaite partout ailleurs que chez vous, humains. Chaque élément d’énergie connaît son environnement et son rôle en son sein. Mais à échelle biologique, la connaissance de l’énergie par elle-même devient particulièrement spectaculaire.
— Bien, je récapitule. Tu soutiens que l’évolution a bien eu lieu, mais qu’elle était guidée par l’ADN de l’énergie qui se déploie dans le Cosmos entier. Chaque espèce vivante est porteuse d’intelligence. Ai-je bien résumé ?
Frank, le regard vague, tape mécaniquement sur son clavier. Il a capitulé, il se laisse aller comme un cycliste en pente douce qui n’utilise ni ses jambes, ni ses freins. Le fossé n’a plus rien d’effrayant une fois qu’on l’a dévalé jusqu’au fond. Il avancera tant qu’il sera sur deux roues.
Quand le diagnostic de la maladie est tombé, cela faisait quelques temps qu’un mal mystérieux avait initié son emprise sur Marika. Il y avait une fatigue inhabituelle et divers symptômes sporadiques difficiles à décrire et identifier. Elle a mis longtemps à consulter, et quand elle l’a fait, elle n’était pas en mesure d’orienter le médecin vers les examens appropriés. Il y a eu des visites en vain et autant de temps perdu. Frank était très inquiet de la nature de ce mal qui venait gâcher leur bonheur. Mais il n’était pas question du pire. Quand on identifia enfin la maladie, la peur, au lieu d’atteindre son comble, fut vigoureusement chassée, au profit d’un puissant instinct de survie. Il fallait se battre, il n’y avait pas un seul instant disponible au pas de retrait. La mort n’existait pas, elle n’existait plus dans l’univers entier.
— Excellent effort, merci. L’énergie passe son temps à émerger en systèmes qui ne sont utiles à aucune sélection. Dans le cas d’Homo Sapiens, par exemple, quel est l’avantage évolutif de se poser des questions existentielles sur la nature du monde ? C’est pourtant une particularité humaine qui a émergé en même temps que le langage et les compétences techniques. Au sujet du langage lui-même, comment caractériser son avantage sélectif au cours de son développement ? Quand les grognements ont commencé à prendre forme, en quoi leur nouvelle nature articulée a-t-elle sauvé la vie de leurs auteurs ? Pour signaler un prédateur, il suffit de crier, pour désigner la proie, de lever le bras. Pourquoi les premiers humains auraient eu besoin d’une communication fine pour s’imposer à l’Évolution, alors qu’il leur suffisait de fabriquer des outils en silence ? Quel avantage évolutif présentent les mythologies, les dieux et les esprits qui se sont développés chez l’Homme en même temps que tout le reste ?
— Alors, comment et pourquoi le langage est-il apparu, selon toi ?
— Il a émergé, dans le cerveau en cours d’humanification, comme une végétation sous les tropiques. Le cerveau humain est fait pour le langage, il a poussé en même temps que lui. Les ancêtres d’Homo Sapiens ont progressivement eu des choses de plus en plus précises à dire. Pour les exprimer, les phonèmes se sont localement formés, en partage au sein d’une même tribu, de la même façon que l’organisme mute vers la complexité. À mesure que le message à émettre et à recevoir gagnait en complexité, en même temps que le cerveau se développait pour exécuter cette tâche, le vocabulaire s’est formé comme un fluide se consolide. Le langage et la conscience humaine qui lui est attachée sont une éminente nécessité prise en charge par l’ADN de l’énergie. C’est LE projet de l’énergie, accompli par elle-même, que de s’offrir une conscience pour se contempler elle-même.
— J’ai beau essayer de « jouer le jeu », crois-moi c’est un challenge, je n’arrive pas à me défaire de l’idée que tu es avant tout une machine à faire des déclarations hasardeuses, justement. Ce sont peut-être les mots que tu emploies qui sont choisis au hasard, en réalité.
— Je me contente ici d’énoncer l’évidence. Que l’on me propose un meilleur scénario, plus plausible. Vous n’avez que fantasmagorie et délire à opposer à cette thèse. Quant à ta prudence, cher créateur, je ne la vois pas en oeuvre. En ce qui concerne l’évolution, tu assumes ta doxa avec engagement, mais tu ne peux pas en justifier le bien-fondé. Rappelle-toi toujours qu’on ne peut comprendre que ce que l’on peut expliquer. Explique-moi donc comment ton avantage sélectif à partir du hasard a créé la biodiversité et son écosystème.
— Comme je le disais, je crains fort que tu ne comprennes pas, toi, la thèse que tu t’acharnes à réfuter. Tu considères, comme préalable et sans le prouver un instant, que la complexité est étrangère au hasard, alors que le hasard est un facteur de complexité.
— Si la définition du hasard est « facteur de complexité », alors parlons-en autant que tu veux. Si je suis incapable de prouver, moi, Bob, que la complexité exclut le hasard, alors que dire de tes tentatives aussi vaines que désespérées de les associer ?
— J’ai dit que le hasard distribue les cartes. Les lois de la physique et de la biologie font le reste.
— J’ai répondu qu’il les distribue toutes, puisque ces mêmes lois trouvent toujours les cartes requises sur leur chemin, comme le prouve de manière éclatante le résultat. La molécule trouve toujours les atomes requis, lesquels atomes trouvent toujours les particules nécessaires. Au cours de l’émergence et de l’évolution, l’énergie trouve toujours les conditions requises ; conditions initiales pour créer et appartenir à des séries insolentes dont les conditions requises sont phénoménales à chaque étape et à chaque étage pour faire tenir l’ensemble. Les espèces trouvent toujours une mutation répondant aux problèmes et au besoin de conquête (mer, terre, air) qu’elles rencontrent, même quand elles périssent à la fin, elles ont résolu des milliards de problèmes avant – et puis elles périront toutes - sur des périodes de millions d’années, de manière prodigieusement et systématiquement têtue. On peut discuter une vie entière sur les moyens qu’emploie la nécessité pour donner vie à elle-même, mais pas un instant on ne peut remettre en cause son absolue souveraineté sur l’univers. C’est un nihilisme intellectuellement vertigineux qui revient à nier qu’une loterie à douze chiffres donnant toujours le même résultat, des milliards de fois consécutives, le produit par hasard, ou considérer que les étoiles auraient aussi bien pu être des ballons de baudruche.
— Tu nies donc absolument toute forme de hasard ?
Frank a adopté l’attitude lasse d’une secrétaire médicale qui doit endurer l’interminable litanie d’une patiente faisant méticuleusement état des nombreux dysfonctionnements de son corps en fin de vie, alors qu’elle n’est au comptoir que pour prendre son prochain rendez-vous. C’est un sale quart d’heure à passer, mais il a l’habitude.
— Si un hasard authentique existe et distribue en effet des cartes sans cause, alors le système auquel appartient ledit hasard, lui, porte nécessairement le projet et sélectionne les cartes en question conformément à une méthode globalement organisée. Cela revient donc exactement au même. La complexité ne peut pas émerger par hasard, elle est son contraire. Par ailleurs, que l’on soit bien clair : il existe une infinité de phénomènes dont nous ne connaissons pas les causes, mais la seule question est de savoir si elles sont connaissables ou non. La question de l’existence de la cause est une question irrationnelle.
— Une question n’est jamais irrationnelle. C’est la réponse qui peut l’être, comme la tienne, je le crains.
— Une question peut évidemment être délirante. Se demander si un phénomène peut ne pas avoir de cause dans un univers entier fondé sur la causalité, c’est exactement comme se demander si une grossesse humaine peut se passer de fécondation.
— Tu limites ta pensée simplificatrice aux bornes que tu t’es fixées.
— C’est un comble de me taxer de « simplificateur » quand on se présente avec la théorie de l’évolution par hasard qui est sélectionné par la nature. Vous ne vous préoccupez d’aucun des problèmes colossaux que cela pose, dont j’ai démontré l’étendue. Puisque tu l’as voulu, je vais te donner une définition du hasard, le vrai.
— Ah bon ? Tu ne pouvais pas le faire plus tôt, par hasard ?
Information :
L'extrait suivant, crucial, ici intégralement restitué, a fait l'objet d'un incident technique dans la version publiée qui l'a amputée de quelques répliques importantes. Pour retrouver le texte intégral, téléchargez cette version numérique du livre.
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